L'Indre dans une Guerre de Trente Ans : haines collectives et destins individuels
- Passeport polonais de Maurice Weiss
- Carte de travailleur avec la mention "juif"
Archives départementales de l'Indre
1 rue Jeanne d'Arc
36000 Châteauroux
Téléphone : 02 54 27 30 42
Télécopie : 02 54 27 85 60
archives.indre@cg36.fr
Après le traité de Versailles, De Gaulle avait écrit : « chacun sait, chacun sent, que cette paix n’est qu’une mauvaise couverture jetée sur des ambitions non satisfaites, des haines plus vivaces que jamais, des colères nationales non éteintes ». Il rejoignait le lucide pape Benoît XV : « Les nations ne meurent pas ; humiliées et oppressées, elles portent frémissantes le joug qui leur est imposé, préparant la revanche et se transmettant de génération en génération un triste héritage de haine et de vengeance » (28 juillet 1915).
La violence extrême déchaînée entre 1914 et 1918 a conduit à une « brutalisation » des individus et des États, à des totalitarismes qui débouchèrent sur un second conflit mondial, encore plus violent et plus brutal que le premier : partout tous les individus dans leur vie quotidienne y furent impliqués, dans un grand déploiement de bureaucratie (d’où quelques archives !). Des boucs émissaires : les « Boches » en 1914, les Juifs en 1940. Deux dossiers d’internés administratifs illustrent ce mécanisme.
Un Allemand pas comme les autres
Les Allemands et Austro-Hongrois se trouvant à Paris au 2 août 1914 étaient internés à Châteauroux dans l’asile d’aliénés de Bitray. Le 7 août arriva au train de 8h 45 Bernard Groethuysen, professeur de philosophie à l’université de Berlin qui fréquentait depuis dix ans les milieux intellectuels français (notamment André Gide, Jean Paulhan, Charles du Bos). Autorisé à loger en ville, il fut, par crainte de l’opinion publique anti-allemande, réintégré au camp en février 1915 : l’intervention de Léon Blum et une pétition de 17 universitaires parisiens lui permirent, sur présentation d’un certificat médical, de revenir en ville. De nature fragile, il menait une vie retirée, ponctuée de visites médicales mensuelles, et s’abstenait de toute correspondance. Il ne quittera Châteauroux que le 20 février 1919.
L’archiviste Eugène Hubert avait servi d’intermédiaire. Il raconte que Groethuysen, « la veille de son départ, confia à M. le commissaire de police de Châteauroux qu’en l’année 1913, le gouvernement allemand, escomptant déjà la conquête de la France, l’avait désigné d’office, à cause de ses titres universitaires (…) comme adjoint à un certain comte d’York, à qui le gouvernement impérial avait destiné par avance la ‘ Préfecture de Reims ’ ». L’échec de l’offensive allemande avait conduit le philosophe francophile loin de l’aristocrate Heinrich Graf Yorck von Wartenburg, qui, lui, avait administré une partie de la Lituanie occupée.
Un Juif comme les autres
La Préfecture de l’Indre a versé les dossiers d’étrangers juifs internés au camp de Douadic. A la suite d’un attentat à Paris le 13 février 1943, les autorités d’occupation exigèrent la livraison de 2000 Juifs étrangers : les « ramassages » des 24, 25 et 27 février 1943 conduisirent 164 internés de Douadic à Nexon, puis à Drancy, d’où ils furent déportés : Serge Klarsfeld a reconstitué leur itinéraire.
Le cas de Maurice Weiss est particulièrement émouvant.
De parents polonais germanophones, il était né en 1901 à Francfort. Marié à Ida Schindler, il avait une petite Charlotte (Lotte), née en 1936. La famille avait quitté Francfort pour l’Italie en 1937, puis pour la France en mars 1939. Maurice avait 5 frères et sœurs qui vivaient à New-York et il avait demandé un visa pour les Etats-Unis, qu’il ne put obtenir à temps. Laissant sa famille à Marseille, qu’il visita brièvement en septembre 1940, il trouva un emploi dans une entreprise de travaux publics à Châteauroux. Dans son dossier figure un portefeuille noir avec son passeport polonais, une photo de sa sœur Dela Schlesinger avec son adresse à New-York, un fragment de lettre de son beau-frère Fritz, des bordereaux d’envoi d’argent. Recensé comme juif à son domicile de Saint-Maur le 12 février 1942, Maurice fut « ramassé » le 24 février 1943. Après Nexon, puis Drancy, il partit dans le convoi n° 51 le 6 mars 1943 pour Maïdanek, d’où il ne revint pas. Il reste un portefeuille noir, témoin d’un destin qui a basculé…